C’est en janvier 2010 que je découvre Haïti par le biais médiatique suite au tremblement de terre.
Dépêchés en urgences, journalistes et équipes humanitaires décrivent scrupuleusement l’urgence vitale dans laquelle est plongée le pays.
Ayant moi-même travaillée pour quelques ONG, je reconnais les grands discours médiatiques visant à mobiliser rapidement le plus de moyens possibles.
En mars 2018, j’ai l’opportunité de partir à Jacmel. L’OFQJ et Off-court Trouville y organisent une résidence cinématographique.
Une catastrophe en balayant une autre comme un ressac, le séisme de 2010 est déjà loin. Mais les empreintes médiatiques très fortes d’Haïti ont marqué ma mémoire. Malgré moi, elles forgent des représentations et donc un imaginaire dont je ne sais me défaire.
Désireuse de ne pas passer à côté de mes rencontres, je décide de travailler au 24mm plein format pour photographier au plus près, pour me rapprocher des personnes. Mais aussi pour me permettre de saisir les paysages.
Point de départ :
Ainsi, je voulais qu’on me raconte, je souhaitais me défaire de ma mémoire. Alors, j’ai longuement interviewé les personnes que je rencontrais. Je voulais tordre les images restées figées.
Mon travail photographique ici a l’ambition de la lenteur, la volonté d’agir par impression. Il ne s’agit pas de montrer directement ou de confronter le regard. Il s’agit de permettre au spectateur de plonger dans une atmosphère inconfortable. J’ai choisi d’agir par touche.
Chaque photographie serait comme un photogramme indissociable les uns des autres qui formeraient une boucle. Ici, j’ai eu le désir d’aborder le quotidien sous une forme plus douce et sensible pour convoquer la beauté en contrepoint de la violence politique. J’ai voulu évoquer le huis-clos, le temps suspendu, l’impossibilité de fuir, la puissance tellurique, celle du ciel, celle de la mer ; son évocation dramaturgique puissante.
De mon vécu et de mes rencontres demeurent ici, dans cette série de photographies, une retranscription mélancolique. Ainsi, l’impossibilité de vivre leur propre destin et d’embrasser leur vie au-delà des limites de ce territoire se confrontent au paradoxe de ma venue comme possibilité d’émancipation personnelle, au privilège de mon billet de retour vers la France.